MA DÉMARCHE D’ÉCRIVAIN

À quoi ressemblerait le monde sans la menace que fait peser sur chaque nouveau-né la potentialité d’un abus de pouvoir ? Que serait un amour expurgé de la volonté d’appropriation ? Existe-t-il des lieux préservés ? Ces  questions obsédantes, je ne puis plus les garder pour moi seule. Je me ferai donc autrice, traçant par mes publications un itinéraire qui va du roman en trois tomes jusqu’à l’essai, à savoir ma thèse de doctorat en psychopédagogie, au témoignage sur une expérience professionnelle atypique, dans la Tunisie en pleine révolution, puis au roman-jeunesse et à la pièce de théâtre.

Romance noire en deux mouvements …, le premier de mes romans, tente, pour paraphraser Félix Leclerc, de dire « grande blessure dessous l’armure » ;  le deuxième, République du Nulle-Part, démonte les rouages d’une culture clanique nourrie au sein de la société des « dix enfants à table » chantée par Claude Gauthier ; quant au troisième, Les rescapés du Graal, il relate l’équipée de deux adolescents en fugue, cherchant à rompre avec leurs ascendants en deuil d’idéal.  Le quatrième ouvrage, Effets d’un historique d’abus incestueux sur l’apprentissage scolaire d’un jeune garçon, en fait, ma thèse de doctorat légèrement remaniée pour les besoins de la publication (en 2013), marque un anachronisme puisque j’ai soutenu cette thèse devant jury en janvier 2001. J’ai souhaité, plus de dix années après, qu’elle soit mise à la disposition d’un plus large lectorat dans la mesure où les problèmes des élèves en difficulté, surtout les garçons, génèrent souvent des diagnostics fourre-tout d’hyperactivité, alors qu’il y aurait intérêt à en chercher les racines dans leur histoire personnelle.  C’est à titre de psychopédagogue enfin que j’ai écrit l’œuvre suivante, Fleur de tempête, récit de mon expérience de travail dans un milieu éducatif tunisien réputé favorisé : cette expérience, d’une grande intensité, me laissait un trop-plein dont l’expression s’est d’elle-même imposée à moi. Viendront plus tard le roman-jeunesse « Sa Majesté Catherine-la-petite contre l’ordre des choses » et la pièce de théâtre « Au temps de la Cabane à tabou ».

Mais mon itinéraire d’écriture se double d’un cheminement de pensée : la hantise de l’Ombre qui « m’a jetée à bas de ma monture de rêve, […] m’a paralysée sous son genou dur comme un caillou » (Romance noire en deux mouvements, p. 34), cédera le pas à une analyse du passé : 

« Oh ! opacité du clan, simulacre d’harmonie […]  À bien regarder les grands spolier, écraser et mentir surtout, l’enfant acquiert […] une science. Il ne peut être trompé par leurs fabulations même si, tissées les unes aux autres en mailles serrées, celles-ci forment une attrayante couverture bien douillette, une appartenance rassurante. » (République du Nulle-part,  p. 34)

tandis que cette science même peut être cause d’ : 

« un fonctionnement cognitif altéré [reflété par] un rendement qui n’est pas à la hauteur du potentiel et une conduite qui ne favorise en rien l’apprentissage. » (Effets d’un historique d’abus incestueux sur l’apprentissage scolaire d’un jeune garçon, p. 223)

alors que le monde, ailleurs comme ici, ne sait qu’en faire :

« Qu’advenait-il lorsque, parmi les causes associées aux difficultés scolaires à traiter, s’en présentait une de nature à provoquer la sorte de malaise intime qui amène une fin de non-recevoir ? […] je décidai d’interroger deux mères [tunisiennes]. Selon la première, devant un cas du genre, rien ne bougerait, toute tentative de changement serait appelée à échouer ; la seconde, quant à elle, se réclamait de la religion …» (Fleur de tempête, p. 85-86)

Toutefois, les chemins de la vie comme de la création réservent des surprises, et l’exploration n’est jamais close…